Lola Vives

Chercheur.e.s, enseignant.e.s-chercheur.e.s

Équipe Cultures publiques

Loger d’abord les sans-abri. Étude sociologique de l’institutionnalisation du modèle transnational Housing First.
Sous la direction de Pascale Pichon

Ma thèse porte sur l’institutionnalisation en France d’un modèle de prise en charge des personnes sans-abri, importé des États-Unis et du Canada : le logement d’abord. Celui-ci s’inscrit en contre-point du modèle dit « en escalier », qui constitue l’organisation habituelle du système d’accès à l’hébergement et au logement des personnes en grande difficulté. La déclinaison française se traduit par l’implantation du programme Un chez-soi d’abord dans plusieurs villes depuis 2012. Des équipes pluri-professionnelles, issues du champ de la santé mentale, du logement et de l’intervention sociale, accueillent des personnes définies comme « sans-abri chroniques », c’est-à-dire qui ont une longue expérience de vie à la rue et un diagnostic de « pathologie psychiatrique sévère », pour leur proposer un accès rapide à un logement personnel ; et les accompagner dans différentes dimensions de la vie quotidienne afin de favoriser leur maintien dans ce logement. L’ethnographie de cette action publique, encore récente et présentée comme innovante, permet l’analyse de son implantation locale dans la mise en œuvre des dispositifs Un chez-soi d’abord. L’enquête ethnographique que j’ai conduite entre novembre 2016 et mars 2019 est multi-située. La circulation continue entre plusieurs terrains m’a conduite à observer des acteurs impliquées à différents niveaux de l’action publique : entretiens et observations de réunions à la Délégation Interministérielle à l’Hébergement et à l’Accès au Logement (DIHAL), observations de réunions préparatoires à la mise en œuvre entre les représentantes de l’État local et des acteurs impliquées dans deux villes, participation et observation de la création des commissions d’orientation dans trois villes et observations des pratiques quotidiennes d’une équipe d’accompagnement médico-social. Ce travail ethnographique, prenant parfois la forme d’un accompagnement sociologique des enquêtées, m’a permis de suivre le cours de l’institutionnalisation du programme Un chez-soi d’abord en France. Il est également complété par dix entretiens menés auprès d’acteurs de l’expérimentation canadienne à Winnipeg (en anglais) et à Montréal ainsi que d’une étude documentaire (revue de presse internationale, plans gouvernementaux américains, canadiens et français, documents internes et officiels du programme Un chez-soi d’abord).
La première partie de la thèse est de teneur méthodologique et réflexive. Elle décrit les différentes postures de recherche et d’action prises au cours de l’enquête. En interrogeant les attendus et les perceptions de la recherche et de la production scientifique qu’ont les acteurs des politiques publiques et de l’intervention médico-sociale, un état des lieux des représentations et des enjeux de l’apport d’une scientificité en action est constitué. La seconde partie de la thèse établit une socio-histoire de la diffusion du logement d’abord qui s’impose dans les politiques publiques comme un dispositif singulier de prise en charge des personnes sans-abri. En revenant sur les premières expériences nord-américaine de logement accompagné nord-américaine à partir de 1977 et la promotion du modèle emblématique Pathways to Housing développé à New-York en 1992, les résultats montrent les conditions de l’élaboration d’une réponse comme preuve d’efficacité à un problème public constitué dans le même temps et par les mêmes acteurs. L’enquête révèle l’importance accordée à l’efficacité, et à ses démonstrations probantes, de cette action publique, jusque dans la diffusion dans d’autres pays, comme en France à travers la conduite d’expérimentations sociales sur le modèle de la randomisation aléatoire contrôlée dans sa diffusion nationale et à d’autres pays, comme en France. L’observation du processus d’institutionnalisation piloté par l’État en France montre une opération de cadrage et de traduction règlementaire de l’expérience conduite sur quatre sites expérimentaux. La pérennisation de leur fonctionnement entraînera l’ouverture de nouveaux sites dans d’autres villes. Des « impensés » sont également mis en exergue notamment avec la mise en place de commissions d’orientation, auxquelles j’ai participé, paradigmatiques d’une tension entre la philosophie portée par les acteurs du logement d’abord et l’organisation traditionnelle de l’attribution de places et de droits dans le champ de l’hébergement et de l’urgence sociale.
La troisième partie vise à décrire le plus finement possible les pratiques professionnelles des équipes d’accompagnement auprès des bénéficiaires du programme Un chez-soi d’abord. Souvent présentées comme « innovantes » notamment du point de vue de l’organisation spécifique des équipes, elle constitue une identité collective pour les professionnelles alors que chaque site procède à des adaptations locales. L’ethnographie des pratiques professionnelles révèlent qu’elles sont gouvernées par un souci et un soin (care) accordés au logement alors même que le maintien dans le logement pour les populations ciblées par cette action publique vient interroger les possibilités d’une autonomie normative.
L’objectif de cette recherche est d’analyser la mise en œuvre d’une réponse à un problème social et public : celui du sans-abrisme chronique. Le processus d’institutionnalisation du logement d’abord est un outil heuristique employé comme révélateur de l’organisation à différents niveaux de la mise en œuvre des politiques publiques et des choix effectués aussi bien concernant le ciblage d’un public et les pratiques professionnelles associées.

Mots clés : sans-abrisme ; logement d’abord ; logement accompagné ; ethnographie multi-située ; intervention médico-sociale ; pratiques professionnelles ; problème public ; expérimentation aléatoire randomisée contrôlée ; institutionnalisation

Publications :
« Engagement(s) à plusieurs niveaux. Accompagnement opérationnel et caution scientifique pour mener l’enquête au sein du programme Un chez-soi d’abord », Ethnographes engagé.e.s. Des implications plurielles en situation d’enquête, (dir.) Patrice Cohen, Anne Monjaret, Eric Remy et Olivier Sirost, Presses Universitaires de Rouen, juin 2022.
« De l’engagement auprès des personnes enquêtées. Retour sur un dispositif d’analyse des pratiques de recherche de terrain pour doctorantes », avec Domitille Blanco, Mélodie Gauglin et Bénédicte Rivet, Ethnographes engagé.e.s. Des implications plurielles en situation d’enquête, (dir.) Patrice Cohen, Anne Monjaret, Eric Remy et Olivier Sirost, Presses Universitaires de Rouen, juin 2022.
« Les pratiques professionnelles au sein du dispositif "Un chez-soi d’abord" : entre handicap psychique et rétablissement. », Regards croisés sur le handicap en contexte francophone, PU Blaise Pascal, « Handicap et citoyenneté », 2021, pp. 367-374.
« The Process Selection of "Un Chez-Soi d’Abord" Program : A Qualitative Study on Implementation of Housing First in France », European Journal of Homelessness, 13 (1), 2019, pp. 145-158.
« Le logement, allié de la mise en œuvre du programme "Un chez-soi d’abord" ? », Les Cahiers de Rhizome n°71, 2019, pp. 92-100.
« Comment sélectionner sans préjuger ? La mise en œuvre des commissions "Un chez-soi d’abord" », Les Working Papers du Collectif Soif, Collection Recherche doctorale, n°3, décembre 2018.
Compte-rendu de l’ouvrage de Pierre-Édouard Weill, Sans toit ni loi ? Genèse et conditions de mise en œuvre de la loi DALO, 2017.

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