En 2019 sur le trottoir d’une rue de Bruxelles, une cinquantaine de lettres signées d’un prénom – Suzanne – sont récupérées rangées pêle-mêle dans une petite boîte en métal posée à côté d’une poubelle. Ces lettres sont toutes adressées à un homme – Hubert – avec qui Suzanne s’apprête à se marier. Écrites entre novembre 1950 et mars 1951, elles retracent les 130 jours qui précèdent leur mariage.
Confection du trousseau de mariage. Relations avec les écoliers et les autres institutrices de l’école. Aménagement du domicile conjugal. Préparation religieuse au rôle d’ « épouse ». Les lettres de Suzanne donnent à voir une époque, des rôles, des rêves et des injonctions de genre.
De cette découverte, s’en sont suivies de nombreuses interrogations dont s’est saisie Maxine Weber (AKA l’axe genre) : Qui est Suzanne ? Est-elle encore en vie ? Dans quelle mesure ses lettres peuvent-elles apporter un éclairage nouveau sur les relations conjugales au milieu du XXe siècle, sur le statut des institutrices en Belgique (profession exercée par Suzanne), ainsi que sur la façon d’analyser, en sociologues, des corpus de correspondance à l’aune de questions de genre ?
Alors que les frontières sont fermées et les déplacements limités, nous avons eu à repenser nos méthodes d’enquête. Durant l’année 2020-2021, les lettres de Suzanne ont ainsi fait l’objet d’un double traitement, à la fois quantitatif par l’analyse textuelle des lettres, et qualitatif par l’analyse génétique des lettres, l’analyse de la presse belge, et une enquête qui, à l’image du feuilleton de Clara Beaudoux (2016), utilise les réseaux sociaux pour relayer et tenter de retrouver l’entourage de la destinataire.
La journée d’étude du vendredi 11 juin 2021, qui s’est déroulée dans les locaux de l’ENS de Lyon, a été l’occasion de présenter Suzanne, à travers les méthodes d’analyse que nous avons adoptées, nos premiers résultats de recherche, et les perspectives de cette enquête sur une femme digne d’un roman flaubertien.